C’est maintenant ou jamais
Le Twist de Claire H.
Aujourd'hui, on retrouve Claire H., 35 ans. Musicienne et professeure de français, elle raconte son cheminement, son instinct de survie et ce moment clé où elle écoute son envie profonde de musique et tente sa chance. Écouter ses besoins et saisir les opportunités, c’était s’offrir une grande liberté d'être.

Dis-moi, c’est quoi ton changement ?
Ça a été de me diriger vers un métier qui me faisait envie depuis très longtemps, qui me restait en tête mais qui n’était pas forcément celui qui allait de soi de par mes études ou mon milieu. De faire de la musique mon métier ou d’essayer. Mais si on dit “changement”, j’ai l’impression d’avoir à opposer deux choses, un avant / après alors que c’était plutôt un cheminement. Ça a été la réalisation de ce qui était là, de développer les désirs qui étaient en moi, d’aller de la petite fille ou adolescente qui rêve d’être sur scène à être vraiment sur scène. Mon changement c’est d’avoir regardé les différentes parties en moi et de me dire “on va les écouter, toutes, et cette partie là on y va, on essaye”. Pour cette partie “musique”, je me souviens avoir dit plusieurs fois “c’est maintenant ou jamais”. Quand il y a eu l’opportunité et les bonnes personnes, saisir le moment était pour moi la chose à faire.
C’est maintenant ou jamais
Qu’est-ce qui t’a fait dire “c’est maintenant ou jamais” ?
C’était lié à la nature du métier, je sentais que c’était quelque chose à faire relativement jeune. En tout cas tel qu’on l’a fait avec les autres membres du groupe, physiquement, ça demandait beaucoup d’énergie. Je l’ai ressenti toute l’année entre l’obtention de mon CAPES et mon départ à Londres, c’était une année de transition avant d’obtenir ma titularisation donc avant de vraiment m’engager dans un choix de carrière.
Comment tu sais que “c’est maintenant ou jamais” ?
Dès le départ je n’étais pas convaincue d’être prof. Sur le chemin de mon premier jour de cours, j’avais l’image d’une petite bougie qu’on avait éteinte. Un collègue m’a accueillie en me disant “Bienvenue dans le métier ! Alors, ça y est, c’est parti pour 40 ans ! ”. Tu ne peux pas savoir l’angoisse que ça a provoquée chez moi. J’ai gardé un sourire de façade mais je visualisais le bloc de 40 ans qui m’arrivait droit dans la tronche. Toutes les cellules de mon corps me disaient “NON”. Ca a déclenché le refus.
Le Twist
J’entends que c’est un cheminement sur plusieurs années mais qu’est-ce qui a fait que tout à coup tu as écouté cette partie “ musique ” ?
Je me souviens d’une discussion avec mon frère. J’allais déjeuner chez mes parents tous les week-ends, j’ai souvenir de vraiment m’effondrer à chaque fois, je pleurais ou j’étais très susceptible, c’était souvent intense. Après un de ces repas, j’étais posée avec ma mère et mon frère à la table de la salle à manger, je disais comme tous les week-ends que ça n’allait pas du tout, j’étudiais les options, les alternatives à ce métier de prof dans lequel je ne me projetais de toute façon pas. Et mon frère me demande d’une manière hyper simple, hyper direct “bon Claire, t’as envie de quoi ? ” avec un ton un peu “bon ça suffit là”. J’ai senti son intention me connecter, son énergie me parvenir et m’autoriser et là toutes les hésitations, toutes les autres options envisagées se sont évanouies. J’ai répondu “de la musique” et ça me semblait évident. Poursuivre la musique avec mon groupe, c’était ce qui restait de plus solide en moi, la seule option qui restait à cet instant là.
Comment t’es-tu sentie à ce moment là ?
J’étais très confuse avant sa question et en fait j’ai vu que la réponse pouvait être très claire pour moi, je ne savais pas comment j’allais le faire mais d’un coup, grâce à la question de mon frère, je me suis sentie très centrée, très ancrée et connectée. C’est apaisé, c’est simple, c’est le soulagement de l’évidence. Je suis passée de “j’étudie plein d’alternatives”, ça bouillonne de possibilités à un apaisement. Je le sens au niveau du plexus. Et je le dis sans hausser la voix, calmement.
Et après cette discussion, que se passe t-il ? Vous continuez à en discuter ?
Mon frère a fait un geste signifiant “bah voilà”. Je vois qu’il partage mon évidence, que je ne dis rien de saugrenu. J’ai le souvenir d’un moment apaisé. Mon frère a mis en lumière quelque chose d’évident pour moi, il m’autorisait d’une certaine façon, il m’invitait à le dire et j’ai eu confiance car j’ai senti qu’il avait confiance en ça. Je ne sentais pas de jugement de sa part et ça m’a encouragée à le dire. J’ai dévoilé quelque chose, j’ai assumé de dire une envie profonde et d’assumer de le dire à des gens qui comptent beaucoup. C’était un moment clé, un moment de vérité, d’honnêteté et d’alignement.
London calling
Est-ce suite à cette discussion que tu pars à Londres ?
En fait la première fois qu’on fait un concert à Londres c’était en février de mon année de professorat. Notre future manageuse, de Londres également, nous repère et programme un été de concerts à Londres. Et c’est pendant un concert de cet été-là que j’apprends ma disponibilité.
Est-ce que tu te souviens du moment où tu demandes ta disponibilité ?
C’était une lettre très basique, je l’ai envoyée comme une formalité. Il n’y avait pas d’enjeu. La question se posait moins sur le fait de continuer le professorat que l’accélération du changement à travers le déploiement du groupe. Pas contre je me souviens de la joie ressentie quand j’ai reçu ma validation de demande de mobilité, le “Yes” de soulagement.
Pourquoi Londres, que vas-tu y faire ?
Notre manageuse y vit et après de nombreux allers-retours pendant plusieurs mois, elle nous demande de nous y installer pour des raisons pratiques. Le déménagement s’est fait facilement parce qu’au même moment j’ai des nouvelles d’une amie qui s’installe à Londres. Elle me dit avoir trouvé un appartement en colocation dans lequel une chambre est libre. Et là il y a eu un court instant de flottement puis je lui dis “bah moi aussi, est-ce que je peux louer cette chambre ? ”. J’ai saisi l’opportunité. Et hop ! Et hop ! [Claire fait le geste de saisir ce qui passe]
Et du coup tu quittes ton appartement ?
Là encore ça reste progressif parce que je vivais dans un studio qui appartenait à mes parents et comme à Londres le système de location est bien moins engageant qu’en France, j’avais payé 3 mois de loyer d’avance avec mes économies de mon année d’enseignement en laissant mes affaires dans mon ancien appartement et me disant “on verra”.
Te souviens-tu de ton départ ? Tu es partie avec quoi ?
C’est marrant pour moi c’était un trajet comme tous ceux faits pendant l’été. En revanche, mon inconscient a dû être marqué parce que j’ai conservé les billets de train. Je pars avec pas grand-chose. J’apportais quelques affaires au fur et à mesure des allers-retours entre la France et l’Angleterre. Je me souviens d’un trajet avec l’ampli et les coussins empilés sur la valise roulante.
Et quand tu arrives, les premières semaines, les premiers mois à Londres c’est comment ?
Le lendemain j’ai pris un café toute seule au soleil, j’étais trop contente. J’échange avec un ami musicien au téléphone, il me dit venir bientôt à Paris et moi je me suis surprise à lui répondre “j’ai déménagé à Londres”. C’est un peu comme ça, au fur et à mesure des discussions, que j’annonce, non pas mon déménagement, mais le fait que je vis déjà à Londres, que j’y suis déjà. Je suis dans le mouvement, notre manageuse a planifié plein de choses, je suis portée par tout ça, par le mouvement du groupe. Je bosse comme une malade mais il y a tout qui se déploie, c’est un peu les vacances. Beaucoup de travail mais tellement de plaisir.
Qu’entendais-tu lorsque tu parlais de ton changement de vie ?
Je me suis centrée sur la bulle qu’on avait avec les autres membres du groupe et notre manageuse. Je me suis mise à fond dans cette nouvelle configuration. Après quelques mois, oui, j’ai commencé à en parler. Mais en fait je vivais déjà là-bas. Avant d’y aller, je n’en parlais pas. Je me souviens du plaisir d’avoir fait mon truc dans mon coin. Ça m’a permis de protéger mon truc, de ne pas avoir de comptes à rendre. Ce qui m’a frappée, c’est qu’en Angleterre, être musicien, c’est normal. Je ne cherchais pas à sortir des clous et la société anglaise ne me renvoyait pas cette image-là. Ce que j’ai pu entendre comme phrases du genre “ah bon, tu es artiste ? ! ” ou “mais qu’est-ce que tu fais de tes journées ? ”, c’était plutôt quand je rentrais en France. Les mois qui ont suivi mon emménagement à Londres, j’ai dû faire beaucoup de pédagogie. Y compris pour rassurer ma famille, leur dire “voilà ça se passe comme ça, il faut qu’on fasse des clips, des visuels, les répétitions, des sessions en studio, créer des sites internets”. C’était plutôt de la curiosité car en France on ne sait pas vraiment ce qu’est le métier de musicien.
Qu’est-ce qui fait que tu es sûre, que ça ne te destabilise pas ?
J’étais parfois un peu agacée quand les questions étaient trop insistantes ou répétitives. Mais j’étais centrée, j’étais bien dans ce que je faisais donc je devais dégager une fluidité, une simplicité. J’étais épanouie. Les différentes étapes m’apportaient de la confiance et puis les 5 premières années à Londres, on n’a pas arrêté. Ce qui est difficile, ce sont les périodes d’inactivité. On était dans cette hyperactivité où tu as toujours une anecdote, tu peux choisir quoi dire selon qui tu as en face, si tu veux enclencher le “mais qu’est-ce que tu fais de tes journées ? ! ” ou le “waouh ! Un concert à New York ! ”.
La peur est un des grands freins du changement. Je n’entends pas de peur dans ton cheminement, comment l’expliques-tu ?
C’est grâce à toutes ces avancées, chaque progression, chaque rencontre. Le plaisir de jouer, l’énergie des concerts. C’est aussi l’audace des autres, sentir la confiance de notre manageuse, l’ambition des membres du groupe. On faisait tout à 3 ou 4 avec notre manageuse. Je n’étais vraiment pas seule dans ce changement, pas du tout. Et ça, ça m’a vraiment portée. Je garde en tête cette phrase “préférer le désir à la peur” de l’écrivaine Belinda Cannone, que j’avais interviewée lors de mon MASTER. Ça m’a guidée dans plusieurs étapes, je me le répétais comme un mantra. J’étais également très privilégiée de pouvoir me dire “si ça ne marche pas, j’ai le soutien de ma famille”. J’avais cette sécurité là. Et surtout, je suis revenue à l’essentiel : au plaisir.