Il faut que je te parle
Le Twist de Romain M.
Aujourd’hui, on retrouve Romain M., 37 ans. Sur le point de se marier, un voyage fait remonter des questions à la surface. Il ne se reconnaît plus dans cette vie sous l’emprise de sa compagne. Le courage prend le pas sur sa peur de la blesser. « Il faut que je te parle » marque son affirmation, le non-retour en arrière possible de sa révélation à lui-même.

Tu viens partager un moment décisif de ta vie, de quoi s’agit il ?
C’est un moment de libération. J’ai rencontré Paola il y a une dizaine d’années, notre relation a duré 4 - 5 ans. Elle avait, sans, je pense, en être elle-même consciente, ce côté manipulateur. Et petit à petit, la confiance grandissant, elle m’a mis complètement sous son emprise, emprise dont j’ai vraiment eu du mal à me défaire.
Ce n'était pas anodin
Est-ce qu’il y a un moment précis lié à cette libération ?
C’est le moment où j’ai pu me séparer de Paola. Je devais me marier avec elle et je l’ai quittée définitivement deux mois avant le mariage. Cette libération a pris du temps, ça ne s’est pas fait en un instant, ça n’a pas été un déclic. Six mois avant le mariage, pour se détendre de toute cette organisation, on est partis en Tanzanie. C’est pendant ce safari que le déclenchement s’est opéré. C’est un moment où j’ai énormément réfléchi, cogité. J’avais repéré des choses avant, une certaine tristesse qui m’avait envahie, par exemple, mais c’était des choses que je n’avais pas envie de reconnaître au fond de moi. Ce voyage m’a vraiment permis de prendre le temps, de me retrouver face à moi-même et me demander « est-ce que je suis bien dans ma vie ? », « je suis triste », « je ne suis plus la même personne ». Plein de souvenirs resurgissaient, de mon enfance et des années avant d’être avec Paola, des images qui me montraient le bonheur, la joie de vivre que j’éprouvais avant et que je n’arrivais pas à retrouver avec Paola. Ces réflexions s’accompagnaient d’engueulades le soir. C’est un voyage qui a duré une douzaine de jours, voyage qui me confortait dans l’idée qu’il se passait quelque chose en moi et que ce n’était pas anodin.
C’est à ce moment là que tu te dis « j’annule le mariage » ?
Non, l’annulation du mariage n’est pas venue tout de suite. Ça a d’abord été cette réflexion « je ne peux pas continuer comme ça » qui ne me quittait plus à la fin de ce voyage, jusque sur le trajet du retour chez nous. Et en même temps il y avait cette peur de tout quitter, je me disais qu’en dix jours de temps il se passait tout ça. Je ne pensais pas du tout à annuler le mariage. Et ce n’était vraiment pas le sujet central. En arrivant chez nous, j’ai dit à Paola « écoute, j’ai beaucoup réfléchi, ce voyage m’a permis de me recentrer et là j’ai clairement besoin d’un temps pour moi, d’un temps seul. Donc là je vais partir, deux - trois semaines, pour me retrouver, j’ai besoin d’un break pour me poser les bonnes questions. Je ne suis pas sûr de revenir, il y a trop de choses qui se passent en moi et aujourd’hui je n’arrive pas à me retrouver moi avec la vie que je vis avec toi. ». Et au bout de ces trois semaines, je suis revenue et on a décidé de réessayer, on a refait 3 semaines ensemble qui m’ont conforté dans les réflexions que j’ai eu avant, je ne me retrouvais pas dans cette vie là. Je lui ai dit « je ne peux vraiment plus, c’est décidé, on annule le mariage et je pars de cette vie là, je te quitte ».
Il y a quelque chose qui se passe là ?
Oui, je me rends compte que mon Twist c’est mon affirmation, une révélation de moi-même, c’est beaucoup plus vrai qu’une libération.
Le Twist
Si tu repenses à ce cheminement, de la Tanzanie à ton départ définitif en passant par ces trois semaines de réflexion, y a t-il un moment précis de cette affirmation ?
C’est au retour de la Tanzanie, quand je lui ai dit que je partais. Ça s’est fait très rapidement à notre retour. Et pour moi ça correspond vraiment à ça, il y a eu des réflexions, je prends ma propre décision, j’affirme mon choix, je suis mon chemin, mes propres réflexions.
On était revenus un dimanche matin à l’appartement, on a défait nos affaires, on s’est un peu reposés du voyage, on n’a pas fait grand chose. Entre ranger nos affaires et faire nos loques sur le canapé, il y a cette réflexion en moi qui me dit « est-ce que je lui en parle ? Qu’est-ce que je fais, est-ce que je dois dire les choses ? Est-ce que je me tais ? En même temps je ne peux pas ne pas lui dire ce qu’il y a au fond de moi. Il faut que je parte ». Donc je suis dans un moment où je ne sais pas si je dois lui dire, j’ai peur de lui dire les choses et en même temps il faut que ça sorte.
Prendre la décision de lui dire « Paola, il faut que je te parle » a pris du temps. C’est la fin de l’après-midi ou le début de soirée. Je suis dans le salon. Les bagages étaient à moitié rangés entre le lave-linge et mis en boule sur le sol. Elle devait être dans la chambre ou debout en train de faire je-ne-sais-quoi, je ne me souviens plus des mots que j’ai employés mais je lui dis que c’est important et qu’elle vienne s’assoir, je lui dis ça d’un air grave. Je me sens angoissé, je suis complètement noué au ventre, ça remonte jusqu’à la gorge, entre la peur, les sanglots, j’ai ma ride du lion, je suis très fermé comme si je ne voulais pas me confronter à elle et en même temps il faut que je lui dise les choses. Je ne suis pas sûr de la regarder dans le fond des yeux, comme si j’essayais d’éviter son regard. On avait un canapé d’angle assez grand, j’étais sur un côté du canapé et elle était assise à 90 degrés de moi sur l’autre pan. On est à 1 mètre d’écart. Et là, je lui dis les choses, ce qu’il s’est passé, mes réflexions, mon besoin de m’éloigner de cette atmosphère nocive. Je ne me souviendrais pas du tout des mots que j’ai employés. Mais je lui dis. Elle comprend sans comprendre et moi à ce moment là je n’ai pas besoin qu’elle comprenne, j’ai besoin de prendre ma décision. Il y a un soulagement de dire les choses, que je me sois enfin lancé, la tension redescend, mais il y a toujours cette angoisse de comment elle va réagir et cette peur de me recroqueviller comme j’avais l’habitude de faire. J’avais peur de ne pas y arriver.
Qu’est-ce qui a fait que cette fois-ci tu ne t’es pas recroquevillé ?
Le courage, tout simplement. Le courage de me retrouver, le courage de dire stop. Avant je ne prenais aucune décision et là j’étais sûr de ma décision. Et de m’être lancé car dès le « Paola, il faut que je te parle », le retour en arrière n’est pas possible. La certitude de mon choix me pousse à dérouler le pourquoi, à aller jusqu’au bout.
Et ensuite, que se passe t-il ? Avec quoi tu pars ? Vers où ?
Les pleurs viennent, pas forcément dès le début pour elle, mais moi je lâche, il y a aussi des choses qui sortent par mes yeux. Car je sais que je vais faire de la peine et pour moi c’est très dur, c’est insupportable pour moi de faire du mal à quelqu’un. C’est peut-être cette peur là qui me retenait de m’affirmer tout ce temps de notre relation. M’affirmer, c’était peut-être faire mal à ma valeur de « prendre soin ».
La discussion se termine, je dis à Paola que je vais sûrement aller chez Antoine, un de mes meilleurs amis. Je me lève du canapé, j’appelle Antoine qui me dit de venir. Je prépare un sac d’affaires et avant de partir on se serre dans les bras, elle me demande de rester, je lui dis que « non ce n’est pas possible ». Même si les choses sont dites, partir de l’appartement est compliqué, on pleure tous les deux, mais il n’y a pas encore de décision définitive qui est dite, il y a un espoir de sa part et elle me laisse partir.
Un lever de soleil
Qu’est-ce qui se passe les heures et les jours qui suivent ?
Je retrouve une certaine liberté, mon libre-arbitre. Je retrouve l’envie d’aller boire un verre avec des copains par exemple. Avant, aller boire plus d’une bière c’était interdit. Donc il y avait cette liberté qui apparaissait. Et il y a eu un réel besoin de retrouver plein de gens dont je m’étais coupés. En temps normal après une engueulade avec Paola, j’aurais eu besoin d’aller marcher, de solitude. Mais là j’avais besoin d’être avec des amis, d’être entouré, de pouvoir en parler et d’avoir le ressenti d’autres personnes. Mes proches m’ont permis de me dire que mes réflexions étaient justes et qu’eux-aussi avaient perçus des changements en moi.
J’avais besoin aussi de ne pas faire que ressasser, j’avais besoin de vivre et de (Romain souffle), de souffler. J’étais oppressé avec elle, j’avais besoin de souffler.
Ça m’a ouvert l’esprit, ça m’a permis d’aller sur mon propre chemin, de plonger dans une mer vaste. Il n’y avait plus cette réflexion permanente, ce questionnement sur mes choix et mes envies, de vivre dans la peur.
Au bout de 3 semaines de pause, je suis revenu parce qu’on avait besoin d’en parler, de faire un point. Et à ce moment-là mes réflexions m’avaient ouvert l’esprit, ça ne pouvait pas continuer de la même façon. Elle m’a dit qu’elle pouvait changer, que notre relation pouvait changer. Donc on a réessayé pour voir si le changement pouvait s’opérer. Sauf que, quand tu as rompu pendant 3 semaines, c’est difficile de se remettre dans le bain, de retrouver une complicité. Et moi j’avais changé, je prenais d’autres décisions, je sortais le soir. Ça n’était pas notre vie d’avant. Et même si il n’y avait pas d’engueulades, je me rendais compte que ça ne lui convenait pas. On avait réessayé parce qu’on se manquait et qu’en quatre ans on a quand même partagé de belles choses difficiles à oublier du jour au lendemain, mais là on n’était plus sur un plan de couple. Moi je ne voulais plus revivre l’avant et pour elle ce n’était pas envisageable de faire autrement. Donc au bout de 3 semaines, je lui ai dit que j’étais déjà passé à autre chose dans ma tête.
C’était une deuxième séparation mais moins forte que la première, elle venait confirmer la première qui était un non retour en arrière possible.
Et les premières semaines, les premiers mois après, c’est comment ?
C’est dans la continuité de la première séparation, j’étais dans l’envie de redécouvrir qui j’étais, je retrouvais une joie de vivre, je m’éclatais avec les copains. J’avais besoin de m’évader, de me retrouver, aussi. Le jour où on devait se marier, je suis allé marcher seul une semaine sur le sentier des douaniers en Bretagne. Ces premiers temps après la séparation c’était comme une renaissance.
Quand tu as dit à tes proches que vous vous sépariez, comment ont-ils réagi ?
Au moment où je l’ai dit, ça a été un soulagement pour tout le monde. Je me suis dit « mais comment c’est possible que j’annonce une séparation et que je reçoive de la joie ?! ». Les gens avaient ressenti que quelque chose ne collait pas entre nous sans jamais vraiment oser le dire car c’est difficile d’aller à l’encontre de la décision de quelqu’un de se marier, c’est le risque de perdre son ami, son frère. Donc ils étaient soulagés pour moi et pour eux-mêmes. Je me suis dit que je ne m’étais pas trompé. Il y avait de la joie, du soutien. Ça m’a encore plus rapproché d’eux.
La peur est un des grands freins du changement, est-ce que tu as eu peur et si oui comment t’en es-tu débrouillé ?
Oui il y a eu de la peur constante, depuis le moment pendant le voyage en Tanzanie où j’ai commencé à penser que je devrais parler à Paola, jusqu’à la décision finale. Et comment je m’en suis débrouillé ? J’ai trouvé des ressources en moi restées enfouies trop souvent. J’ai trouvé une force, le courage de vouloir changer, de me dire que je ne pouvais pas continuer à me détruire comme ça. Il y a cette prise de conscience, c’est vraiment le courage de vouloir changer.
De tout ce Twist, que retiens-tu et qu’est-ce qui est différent ?
Je retiens ma renaissance. Parce qu’avant j’étais un « moi » complètement paumé et j’ai redécouvert qui j’étais en percevant les choses de manière totalement différente. Avant, je voyais les choses avec les yeux comme fermés, j’étais dans un monde un peu morne donc je ne voyais plus les choses, je ne discernais plus la beauté du monde. Un coucher de soleil devenait presque insipide. Alors que maintenant je me sens éveillé. Comme de la pleine conscience qui s’est ouverte en moi.
Et ce qui est différent c’est moi surtout. Je suis la même personne mais je me connais mieux donc je me sens plus fort, j’ai plus le courage de faire certaines choses, j’ai moins peur du changement. Oui, j’ai plus de courage.
Si tu avais un ancrage symbole de ton Twist, ce serait quoi ?
Un lever de soleil. J’arrive sur une nouvelle journée, une nouvelle période, un nouveau jour.
Quel conseil voudrais-tu souffler à ceux qui n’osent pas encore se lancer ?
Pour moi, tant qu’il n’y a pas une prise de conscience d’un besoin de changement, un Twist ne peut pas se faire. Et pour qu’il y ait cette prise de conscience, il faut une réflexion et un recentrage sur soi en se remémorant sa vie. Se recentrer pour arriver à faire le point sur ses valeurs. Si on sent que quelque chose coince, c’est qu’il y a quelque chose à opérer, c’est qu’on n’est pas aligné avec ses valeurs. Et surtout, il ne faut pas hésiter à se faire aider parce qu’opérer un Twist seul c’est bien mais il ne faut pas avoir peur de se faire aider dans son cheminement, de se faire aider pour se révéler à soi-même. Parce que c’était ça mon Twist, une révélation.